I/ Conditions de
travail :
Primo Levi travaille pour les Allemands contre
aucun salaire ni aucune récompense. Il arrive le matin au chantier, le Kapo
fait l’appel, et après il commence à porter des leviers en fer qui pèsent au
moins 15 kilos.
Il fait plusieurs
voyages et au bout d’une demi-heure il est déjà fatigué : “ Je
serais mort de fatigue au bout d’une demi-heure. ” écrit l’auteur.
Les conditions de travail
sont d’autant plus difficiles que le climat est rude. En hiver, les
prisonniers sont à l’extérieur, et
doivent supporter le froid et la neige. “ A chaque pas, un peu de neige
et de boue s’attache à nos semelles en bois, tant et si bien qu’on finit par
marcher sur deux amas informes et pesants dont on n’arrive pas à se débarrasser
.A l’improviste, l’un des deux se détache, et alors c’est comme si on avait une
jambe plus courte que l’autre de 10cm, se souvient Primo Levi. ” Puis ils
déchargent d’un wagon un énorme cylindre qui pèse plusieurs tonnes, un travail
qui demande donc force et concentration
en continue. Il construit d’abord dans la boue molle une route sur laquelle le
cylindre sera glisse à l’aide des leviers jusqu'à l’intérieur de l’usine. Mais
il faut dans un premier temps enlever les traverses qui sont encastrés dans le
sol et qui fond au moins 80 kilos.
Au bout du premier
voyage il est dans un état pitoyable et ferait tout pour échapper au
second : “ Au bout du 1er voyage je suis sourd et
presque aveugle tant l’effort est violent, et je serais prêt aux pires
bassesses pour échapper au second. ”.
A chaque pas la
neige lui coule dans le cou et Primo Levi était à la limite de la capacité
normale de résistance. Le sort est le même pour les autres détenus.
Donc il demande la
permission d’aller aux latrines. C’est un moyen pour les prisonniers de
souffler un instant.
Ce travail est fatiguant et humiliant. Primo
Levi n’est pas habitué à ce genre d’épreuve physique car il est chimiste de
profession.
Les Allemands ne font aucun cas des formations des
prisonniers. Les plus forts travaillent, et les plus faibles sont supprimés.
Les détenus ne peuvent donc qu’obéir aux ordres.
II/ Le Kommando des spécialistes :
Quelques mois plus tard, Primo Levi passe un
examen pour occuper un poste de chimiste. Les résultats tardent à arriver mais
il finit par apprendre qu’il est accepté.
Même si Primo Levi
est fier d’avoir été retenu pour travailler au laboratoire, il ne se fait pas
d’illusion. Il sait que les Allemands ne lui feront pas de cadeau.
Effectivement dans un premier temps, il continue à travailler à l’extérieur
alors qu’il croyait être au laboratoire. Lors de l’hiver, les autres
prisonniers obtiennent des manteaux. Il écrit alors : “ Nous sommes un
Kommando de spécialistes, et en théorie, nous ne travaillons qu’à
l’intérieur : aussi sommes nous restés en tenue d’été. ”
De plus, même si le
travail est plus proche de ses compétences, les conditions restent très
difficiles : “ Nous, nous sommes des chimistes, et donc nous
travaillons aux sacs de phenyl-beta. Nous avons
débarrassé l’entrepôt après les premières incursions, en pleine canicule :
le phenyl-beta se collait, sous les vêtements, a nos
membres en sueur, et nous rongeait comme une lèpre : de nos visages se
détachaient de grosses croûtes. Nous avons rapporté les sacs dans l’entrepôt.
Apres quoi l’entrepôt a été touché et nous avons déplacé les sacs dans la cave
de la Section Styrène. A présent, l’entrepôt a été remis en état. Il faut à
nouveau y empiler les sacs. L’odeur entêtante du phenyl-beta
imprègne notre unique costume et nous suit jour et nuit. ”
Ou autre
raison : “ Il faut rester toute la journée les pieds enfoncés
jusqu’aux chevilles dans de l’eau saumâtre et glaciale qui attaque les chaussures,
les vêtements et la peau. ”
Il résume ainsi les
changements qui se sont produits grâce à son nouveau travail : “ Les
avantages que nous avons retirés jusqu’ici de notre enrôlement dans le Kommando de Chimie :Les
autres ont reçu un manteau, et nous non : les autres portent des sacs de
ciment de cinquante kilos, et nous des sacs de phenyl-beta
de soixante kilos. ” Ses craintes se confirment. Aucun travail n’est
humain au camp. Ce qu’ils gagnent d’un côté, ils le perdent d’un autre.
http://fcit.coedu.usf.edu/holocaust/gallery2/D57.htm
David Olère : « Chambre à gaz », déporté,
il a passé 2 ans au SonderKommando Juif d’Auschwitz dont il a miraculeusement réchappé
III/ Le laboratoire :
Finalement,
les ‘élus’ finissent par entrer au laboratoire. A partir de ce moment,
leurs conditions de vie s’améliorent. Ils sont à l’intérieur, et ne portent
plus de charge lourde. Voici ce qu’écrit alors Primo
Levi : “ Nous sommes entrés dans le Laboratoire, timides,
désorientés et sur la défensive comme trois bêtes sauvages qui s’aventuraient
dans la grande ville. Que le carrelage est lisse et propre ! C’est un
laboratoire. Trois longues tables de travail couvertes
de mille objets familiers. Les récipients en verre mis à égoutter dans un coin,
la balance analytique, un poêle Heraeus, un coup de Hoppler. L’odeur me fait tressaillir comme un coup de
fouet : la légère odeur aromatique des laboratoires de chimie organique.
L’espace d’un instant, je suis violemment assailli par l’évocation soudaine et
aussitôt évanouie de la grande salle d’université plongée dans la pénombre, de
la quatrième année, de l’air tiède du mois de mai italien. Au laboratoire il
fait une merveilleuse : le thermomètre indique 24 degrés. Et ici, il y a
du savon, il y a de l’essence, il y a de l’alcool. Ainsi, il faut croire que le
sort, par des voies insoupçonnées, a décidé que nous trois, objet d’envie de la
part des dix mille condamnes, nous n’aurions cet hiver ni faim ni froid. Ce qui
veut aussi dire que nous avons de fortes chances de n’attraper aucune maladie
grave, de n’avoir aucun membre gelé, de passer à travers les mailles des
sélections. ”
Ce nouveau travail
ne réconforte néanmoins pas Primo Levi. Il connaît les lois du Lager et sait parfaitement ce qui risque de lui arriver au
moindre faux pas : “ Dans ces conditions, quelqu’un de moins rompu
que nous aux choses du Lager pourrait être tenté
d’espérer survivre et de penser à la liberté. Nous non : nous, nous savons
comment les choses se passent ici : tout de suite et le plus intensément
possible : mais demain, c’est l’incertitude. Au premier récipient brise, à
la première erreur de mesure, à la moindre inattention, je retournerai me
consumer dans la neige et le vent, jusqu'à ce que moi aussi je sois bon pour la
Cheminée. ”
De plus, l’ennui le
gagne peu à peu. Le travail de force l’empêchait de penser. A présent, il a
plus de temps, est moins occupé par ses souffrances physiques et ce sont les
souffrances morales qui prennent le dessus. Il écrit alors : “ Et
puis, peut-on appeler ce que je fais un travail ? Travailler, c’est
pousser des wagons, transporter des poutres, fendre des pierres, déblayer de la
terre, empoigner à mains nues l’horreur du fer glace. Tandis que moi je reste
assis toute la journée, avec devant moi un cahier et un crayon, et même un
livre qu’on m’a donne pour me rafraîchir la mémoire sur les méthodes d’analyse.
J’ai un tiroir ou je peux mettre mon calot et mes gants, et quand je veux
sortir, il suffit que j’avertisse Herr Stawinoga, qui ne dit jamais rien et ne pose pas de
questions si j’ai du retard : il a l’air de souffrir dans sa chair du
désastre qui l’entoure. La douleur de se souvenir, la souffrance déchirante de
se sentir homme, qui me mord comme un chien à l’instant où ma conscience émerge
de l’obscurité. Alors je prends mon crayon et mon cahier, et j’écris ce que je
ne pourrais dire à personne. ”
Primo Levi n’a pas
pu rapporter ses écrits car la détention de papier et de feuilles était interdite.
Il risquait la mort. Cependant, c’est pendant les mois de travail au
laboratoire que son roman Si c’est un homme prend forme. Il le construit
dans sa tête, ce qui lui permet de ne pas désespérer.