À MA MÈRE

 

Écoute Maman, je vais te raconter

Écoute, il faut que tu comprennes

Lui et moi on n'a pas supporté

Les livres qu'on brûlait

Les gens qu'on humiliait

Et les bombes lancées

Sur les enfants d'Espagne

Alors on a rêvé

De fraternité...

 

Écoute Maman, je vais te raconter,

Écoute, il faut que tu comprennes

Lui et moi on n'a pas supporté

Les prisons et les camps

Ces gens qu'on torturait

Et ceux qu'on fusillait

Et les petits-enfants

Entassés dans les trains

Alors on a rêvé

De liberté.

 

Écoute Maman, je vais te raconter,

Écoute, il faut que tu comprennes

Lui et moi on n'a pas supporté

Alors on s'est battu

Alors on a perdu

 

Écoute Maman, il faut que tu comprennes

Écoute, ne pleure pas. . .

Demain sans doute ils vont nous tuer

C'est dur de mourir à vingt ans

Mais sous la neige germe le blé

Et les pommiers déjà bourgeonnent

Ne pleure pas

Demain il fera si beau

 

GISÈLE GUILLEMOT

 

 

 

Gisèle Guillemot est née le 24 février 1922, elle participe dans la Résistance, de décembre 1940 à avril 1943, à des actions menées dans la Calvados, au sein de l'Organisation Spéciale, du Front National pour la Libération de la France, des Francs-tireurs et Partisans Français, du réseau de Centurie. Arrêtée, elle est d'abord internée à Caen puis à Fresnes. Elle est déportée le 4 octobre 1943 à Ravensbrück puis Mauthausen.

Le poème est à la fois écrit à la première personne "je" et on retrouve également à plusieurs reprises "lui et moi", "on a rêvé", "on a perdu", "ils vont nous tuer". On sait aussi que le narrateur et "lui" sont jeunes; "c'est dur de mourir à 20 ans". Le poème est adressé à une mère, sûrement la mère du poète, d'où le titre "À ma mère" et la répétition "Ecoute Maman" qui est insistante puisqu'on la trouve à chaque début de paragraphe. Mais aussi quelques un des verbes sont adressés directement à la mère, "Ecoute", "Ne pleure pas".

La phrase "lui et moi on n’a pas supporté" entraîne le témoignage des horreurs dues à la montée du Nazisme. Les faits relatés sont, les livres brûlés, les gens humiliés, les bombes lancées ; mais aussi les départs et les conditions atroces dans les camps, les prisons et les camps, les gens torturés, les gens fusillés et les petits enfants entassés dans les trains. Ces vérités dures à entendre sont suivies par l'espoir, le rêve que le locuteur garde au fond le lui, "alors on a rêvé de fraternité".

La phrase "lui et moi on a pas supporté" dans le troisième paragraphe, montre que tous les efforts pour lutter sont restés vains et que malgré le fait qu'ils se sont battus: "on a perdu." Dans le dernier paragraphe, l’auteur avoue le véritable but de sa lettre : elle annonce sa mort imminente à sa mère.  Puis elle explique que tout ce qu'ils ont fait pour se battre leur à coûté la vie : "on a perdu", "demain sans doute ils vont nous tuer". . La locutrice s'adresse une ultime fois à sa mère parce qu'elle  ne veut pas que sa mère pleure, elle veut qu'elle reste pleine de vie comme lorsqu'elle l'a quitté. Elle termine pas "Demain il fera si beau", cela signifie qu'il ne faut pas qu'elle perdre espoir car la vie ne s'arrête pas. Ce poème, plein d’émotion est  à la dernière lettre qu’une fille écrit à sa mère avant de mourir, c’est l’ultime témoignage, ce sont les dernières recommandations, un adieux émouvant avant la mort. La fin du poème  montre à la fois le soulagement de cette jeune fille qui a certainement beaucoup souffert et qui trouvera dans la mort une paix intérieure, et un dernier espoir : sa mort ne sera peut-être pas inutile, son travail portera ses fruits un jour ou l’autre.

 

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