LA FAIM
La faim, toujours la faim.
La faim hurlante, édentée.
Mais quand viendra la fin
De cette faim sans langue ?
Et dire que par le monde
Il y en a qui mangent !
Nous, notre estomac gronde
Et nous sommes dans la boue.
Jadis. . .
N’en parlons pas !
Pourtant, il existait
Le temps des bons repas,
Le temps où l'on chantait
Tout en rentrant chez soi...
Mais où est ton sourire
Et ta robe de soie ?
Où sont nos chants, nos rires ?
Des morts, encore des morts...
Et nous autres vivants
Sommes plus morts que morts,
Sommes plus vent que vent,
Plus rien, plus rien, plus rien
Que des ombres passées
Dans ce camp hitlérien
Que de corps ont flambé !
FROSTY
Ce poème a
été écrit à Buchenwald, un camp d'extermination, par Frosty
pendant sa détention. Il est porté sur la faim, premièrement à cause de son
titre, "La faim", mais aussi à cause du contenu. En effet, la vie
dans les camps est rythmée par la faim et les déportés se demandent évidemment
jusqu'à quand cela va durer. De même ils se plaignent de leur sort, "Il y
en a qui mangent ! Nous, notre estomac gronde et nous sommes dans la
boue". On a ici une sorte de jalousie qui s'installe entre les détenus,
privés de tout, et ceux qui continuent à vivre "normalement", malgré
la guerre, et ceux qui en profitent. L'auteur est également nostalgique des
repas qu'il prenait, chez lui, "du temps où l'on chantait, tout en
rentrant chez soi". Il regrette cette insouciance. Il regrette aussi sa
femme et ses "son sourire", "sa robe de soie". La gaieté n'est
plus là, il ne reste que la tristesse, la froideur et la frugalité.
Dans la
troisième strophe, c'est le sentiment de mort qui domine. Il montre qu'il n'y a
plus de différence entre les morts et les prisonniers. Les survivants sont
"plus morts que morts", ils ne sont que des spectres. N'ont plus rien
d'humain.
Dans le
dernier vers, Frosty utilise l'image de la fumée,
"les corps ont flambé". Ils se sont désagrégés, les allemands ont
tout brûlé, le dernier fil de vie. A présent, ils ne sont que des ombres, de la
fumée.
Ce poème
sur la faim montre bien la souffrance des prisonniers qui étaient rationnés. La
faim les amaigrissait, leur enlevait toutes leurs forces. L'auteur joue sur les
mots, peut-être pour tenter de rire encore de leur triste sort, plus sûrement
pour montrer que pour eux, les mots n'avaient plus de sens, qu'ils ramenaient
tout à leur triste destinée. Aussi, "la faim" et "la fin"
se confondaient, "vivant" et "vent" ne faisaient plus qu'un
car ils n'étaient "plus rien".