Le Chemin de Fumée

 

Rachel Hausfater-Douïeb

 

 

Rachel Hausfater-Douïeb, née en 1955, a fait des études d’anglais et a passé plusieurs années à voyager à l’étranger (Etats-Unis, Israël, Allemagne, etc.). Elle a occupé plusieurs emplois, pour finalement enseigner l’anglais, actuellement dans un collège de Seine- Saint-Denis. Elle est mariée et a trois enfants.

Le Chemin de Fumée n’est pas un roman autobiographique. Mais l’auteur (Rachel Hausfateur-Douïeb, née en 1955), a su décrire et faire ressortir  avec réalisme et émotion, l’horreur de la guerre et des camps de concentration nazis, ainsi que leurs effets traumatisants. 

Ces quelques extraits sont l’illustration d’une époque et d’un monde pris sous la guerre menée par les Nazis, où les juifs sont exterminés.

Ce livre, paru en 1998, raconte l’histoire de Shaïna, adolescente qui a vécu, petite fille, dans un camp de concentration et qui à la fin de la guerre se retrouve dans un orphelinat pour déportés. On vit sa remontée à la surface, mais on replonge avec elle dans ses cauchemars et souvenirs aux couleurs de la mort.

Cela nous permet de mieux nous rendre compte de l’atrocité de la guerre et du désespoir des déportés, malgré le fait que cette histoire soit une pure fiction. 

 

·        L’arrestation et la déportation

La scène se passe dans un café pendant la deuxième guerre mondiale ; les dates ne sont pas précisées. Shaïna et son grand-père, Zeïdé, (futurs déportés), boivent une limonade alors que les officiers allemands arrivent.

 

“ Il faisait sombre et frais, j’ai trempé mes lèvres toutes gercées dans la limonade glacée, ça allait être si bon…quand une voix noire a dit : “  vos papiers ! ”. Nos papiers, on les avait. Pas les vrais, bien sûr, des moins voyants, des corrigés. Ca  faisait longtemps que Zeïdé avait décousu nos étoiles […] et que sur ses papiers il s’appelait M. Chanfleur […] Mais les hommes en imperméable du café ont trouvé nos papiers pas très catholiques. Justement parce qu’ils l’étaient trop ! Ils ont pris un air moqueur (pourquoi ne nous aiment-ils pas ? Ils ne nous connaissent même pas ! , et leur chef m’a demandé, trop poliment : “ Comment s’appelle ton grand-père, petite ? ” J’ai répondu  “ Chanfleur ”. Mais il avait l’air de pas me croire, ça m’a énervée alors j’ai ajouté : “  Hein ! Zeïdé, que tu t’appelles  Chanfleur ? ” […] “  Zeïdé ? ”, Ça les a fait rire, d’un vilain rire. […]

“ Venez monsieur “ Zeïdé- Chanfleur ” (j’ai entendu les guillemets). On va vérifier tout ça au poste ”. […] Du poste on est allé dans un petit camp, du petit camp au train, du train au dernier grand camp, chemin de droite, chemin de gauche. Zeïdé  fini dans les flammes et n’a jamais revu ni  les champs ni les fleurs. ”

 

 

“ Quand on est arrivé au camp, ça allait encore malgré la faim déchirante, l’étouffement du train, le trop chaud, le trop froid, et la peur hoquetante. Ca allait encore, malgré la descente paniquée, les corps élastiques piétinés, les files d’ombres attendant… quoi ? L’enfer ? Ca allait encore quand on avançait, lentement, si lentement. Ca allait encore parce que tout le temps Zeïdé tenait ma main, Zeïdé chantait doucement, Zeïdé consolait, même s’il ne riait plus. La longue file devenait de moins en moins longue, mais ça allait : qu’importe où  nous allions, puisque nous y allions ensemble. Et puis tout d’un coup, très vite, trop vite, il a retiré sa main, a chuchoté gentiment “  adieu ma Shaïné, sois forte, vis pour nous tous. Mais ne me suis pas, surtout ne viens pas avec moi ! ”, Et il m’a repoussée, les hommes durs et incolores étaient devant nous, ils l’ont envoyé à gauche, et moi […] ils m’ont envoyée à droite. ”

 

 

“  La gare porte le curieux nom d’Auschwitz. Là, on nous séparera, on nous déshabillera et nous nous gazera. Ou peut-être aurons-nous la chance d’être choisis (peuple élu !) pour aller travailler comme des bêtes, sans nourriture, ni espoir. ”

 

 

 

·        LES CONDITIONS DE VIE DANS LE CAMP DE CONCENTRATION

 

Après la séparation avec son grand-père et la mort de celui-ci, Shaïna se retrouve à travailler dans les camps comme petite ménagère pour les officiers allemands.

Elle vit dans des conditions atroces et est forcée à nettoyer les saletés dues aux nombreuses exterminations :

“ Au camp, je faisais partie de l’armée des petites ombres chargées du nettoyage. Toute la journée nous courrions affolés là où on nous envoyait, pour nettoyer, laver, faire disparaître les traces infamantes. Balayer les reste des riens. Poussière d’os, cendres grasses, giclées de sang brun. Nous marchions le nez à ras de terre, troupeau de taupes douces et aveugles qui ne voyaient presque jamais le ciel. Jamais le soleil. Encombrée de mon balai (pauvre petite sorcière), et de ma serpillière (pauvre petite souillon), j’essayais, en vain, de venir à bout de leurs saletés, chaque jour plus nombreuses, des tas d’immondices, chaque jour plus haut, qui risquaient de nous ensevelir, de nous salir, nous les petits anges blancs. Mais les cris, les cris, je n’avais rien pour les faire disparaître. ”

Shaïna essaye de se tuer en sautant par la fenêtre, heureusement, elle atterrit dans les branches d’un arbre et n’a qu’une entorse et des cicatrices. Et en repensant à son père, elle se rappelle qu’elle prenait des leçons de piano avec lui, après en avoir pris avec un vrai professeur : M. Martinet , mais que depuis que : “ Papa aussi a arrêté ses leçons, j’ai appris un autre solfège, mille fois plus pénible que celui de M. Martinet. Maintenant que je connais la musique funèbre des camps, je joue en clé de sang, en clé de feu, je joue les gammes du chagrin, en désaccords  majeurs, celles qui ne connaissent pas de silences. ”

 

 

      “ Qu’est-ce que tu y connais, toi, aux camps ? Tu n’es MEME pas un déporté, juste un enfant de. Ce n’est pas héréditaire (quoique …). Quel titre de gloire, hein ! ? Ca te donne peut-être droit aux réparations, mais pas à la récupération ! Nous, on a été déporté, et on l’est toujours. Jamais vraiment rapportés, tout juste supportés. Personne  n’est revenu entier de ce voyage sans vrai retour. On a tous laissé un gros morceau de nous, qui pleure là-bas, et cherche,  indéfiniment. Dans le grand champ gris erre toujours un bout de moi, le bout le plus tendre, pleurant Zeïdé , cherchant mes parents. Pour Pitchi-Poï, c’était pire : TOUT LUI était resté. Seule sa doublure était revenue, et faisait Pitchi-Poï. Mais le vrai vivant, il est là-bas. A Pitchi-Poï ! Alors tais-toi, tu ne SAIS pas ! ”

 

Pitchi-Poï  est un petit garçon  qui a été déporté à deux ans avec sa mère, mais qui est morte du typhus quelques mois plus tard. Il est resté traumatisé par le camp, il ne parle pas sauf pour marmonner “ Pitchi-Poï ” et comme il ne dit presque jamais rien d’autre, c’est le nom que les autres enfants lui ont donné. Il passe tout son temps assis dans un coin, recroquevillé sur lui-même. Et un jour, en rentrant du lycée, Shaïna le retrouve pendu dans sa chambre.

 

 

Juste un exemple du traumatisme causé par les camps :

“ Mais du camp tu ne disais rien, à part des cris, la nuit, et des pleurs qui déchiraient. ”.

Shaïna est restée traumatisée depuis la mort de sa mère et son grand-père au camp. De ce fait, elle ne cesse de crier et de pleurer, ce qui déchire Jeanne, l’infirmière qui s’est occupée d’elle lorsqu’elle était enceinte de Zeïdé.

 

 

L’ouvrage est très intéressant et facile à lire car l’histoire racontée est vécue par une enfant. Donc l’auteur, Rachel Hausfater-Douïeb, écrit l’ouvrage avec le vocabulaire et le style d’une enfant de l’âge de Shaïna. Cela permet de ressentir encore plus de compassion avec Shaïna et de bien entrer dans son histoire et partager sa souffrance.

 

 

A la fin, Shaïna retrouve son père et récupère la fille qu’elle a conçue dans le camp de concentration lorsqu’elle dormait avec d’autres enfants de son âge. Elle finit sa vie avec eux dans le bonheur de les avoir retrouvés mais toujours avec le manque de son Zeïdé en elle, qui, quand elle était petite, était celui “ qu’elle aimait le mieux ”.

 

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